L’année dernière, lors des RMLL, s’est tenu une conférence qui m’a fortement intéressée. Malheureusement, je ne l’avais pas vu sur le moment et donc je n’ai pas pu faire parti des spectateurs.
La conférence portait sur le cinéma numérique : « Cinéma numérique, concentration des média ou diversité culturelle : enjeux du déploiement et perspectives de développement ».
Voici la vidéo de la conférence en question:
Cette conférence se basait essentiellement sur un texte paru sur le site des cinémas Utopias, du titre évocateur « Les salles indépendantes seront-elles les « dindons de la farce « numérique ? » et une autre version sur OWNI.fr.
Texte que j’avais lu à l’époque mais que j’avais mis de côté à l’époque.
Pourtant, le papier comme la conférence, tenue par Rodolphe Village, Christophe Sauthier et Nicolas Bertrand m’ont fait bondir devant le nombre d’inexactitudes à propos du cinéma numérique et de ces enjeux.
Avec Rodolphe et Nicolas nous avons eu une longue discussion sur le site LinuxFR portant sur cette même conférence.
En fin de commentaire, j’avais promis de revenir point par point à son article en commentaire. Je l’avais écrit mais jamais publié.
En faisant un peu de ménage sur mon ordinateur récemment, je suis retombé sur le texte en question.
Voici donc ma réponse à l’article telle quelle comme-ci j’avais directement commenté l’article de Rodolphe sans discussion au préalable avec lui sur le site LinuxFR.
L’exploitation cinématographique est à l’aube de changements technologiques propres à bouleverser l’équilibre de la profession, mettant en péril un nombre important de salles du parc français, et par là même la diversité culturelle. Le CNC a travaillé dur à élaborer un mécanisme de fonds de mutualisation (voir document en annexe) qui aurait permis de préserver l’existence de ces salles en les aidant dans la transition vers la projection numérique. Mais ce mécanisme n’a pas été approuvé, contre toute attente de la profession, par l’Autorité de la Concurrence, alors qu’au même moment, le dernier grand groupe à ne pas s’être encore équipé annonçait la numérisation de ses 800 écrans, accélérant le basculement de l’exploitation vers cette nouvelle technologie.
C’est un coup dur pour la profession, mais le communiqué de l’Autorité de la Concurrence ne manque paradoxalement pas d’intérêt et nous devrions saisir cette opportunité pour approfondir notre réflexion sur les implications de cette mutation, et dépasser une déception légitime. C’est dans cet esprit que les salles ISF tiennent à proposer quelques pistes de réflexion.
Ainsi l’Autorité de la Concurrence reconnaît que, “le projet du CNC correspond à un objectif d’intérêt général, auquel le marché du financement du cinéma numérique par les tiers investisseurs ne semble pas pouvoir répondre de façon satisfaisante”
Pour quelles raisons ?
On m’a fait parvenir votre texte il y a quelques jours déjà, j’ai voulu prendre le temps de bien le lire et aussi de suivre votre conférence lors des RMLL 2010.
Tout d’abord, j’aimerais spécifier que mes propos évoqués ici n’engagent que moi et non les personnes ou sociétés pour lesquelles j’ai travaillé.
Je vais tout d’abord me présenter sur l’échiquier de ce débat pour vous permettre de me situer.
Ayant travaillé avec des tiers investisseurs, j’ai côtoyé les normes DCI (NDLA: les normes du cinéma numérique) depuis pratiquement sa sortie en 2005/2006. Je garde de côté, cependant, les noms des sociétés avec lesquelles j’ai pu travailler pour des raisons de neutralités (commerciales) dans ce débat. Par ailleurs, ne travaillant plus pour des tiers, je n’ai donc rien à gagner dans ce que je vais évoquer.
Le texte ainsi présent m’étonne, j’ai entendu plusieurs fois ces craintes et cela depuis de nombreuses années. Votre point de vue me semble être axé sur un manquement d’informations ou bien sur des données biaisées, je vais donc essayer d’y répondre au mieux possible.
Je ne me considère pas possédant la totalité des connaissances du milieu, cependant, vous aurez – au moins – le point de vue d’une personne ayant travaillé du côté « des grands méchants », les tiers investisseurs et travaillant encore dans le milieu du cinéma.
Rappel pour ceux qui ne sont pas au fait du débat, ils existent 3 tiers-investisseurs présents en France : Arts-Alliance Media, XDC et Ymagis. (pendant un temps, on parlait de Sony mais aucune nouvelle depuis)
D’une part parce que le financement par les tiers investisseurs repose en grande partie sur les VPF3 des majors et risque de favoriser la programmation du cinéma américain au détriment de la diversité culturelle, tout en accélérant la rotation des films (plus on a de films en première semaine plus on touche de VPF ).
La main-mise de la programmation par les tiers-investisseurs est un mythe propagée par certaines personnes. Je n’arrive plus très bien à situer les premières fois où j’ai pu entendre ces rumeurs.
Depuis mes débuts, les maître-mots qui m’ont été posés dans mon milieu (donc des tiers) ont été que « Les exploitants restent maître chez eux, de leurs matériels et de leurs programmations ».
C’est une phrase clef que personne n’a voulu déroger depuis que j’y travaille. Je n’ai jamais entendu une personne remettre en question ce principe.
La rotation des films a été, de tout temps, effectuée par les exploitants – et non des personnes externes – sur le principe du nombre d’entrées en salle. Les grands réseaux de distribution sont tributaires (même les studios US) de ce choix.
La rotation d’un film, nous n’allons pas nous le cacher entre nous, s’effectue à cause d’un manquement d’entrée dans la semaine écoulée du point de vue de l’exploitant. Un film ayant une petite « audience » se verra passer de la salle prestigieuse à une salle un peu moins (comprendre par là : une plus petite salle) ; Et encore, ceci est dans le meilleur des cas. Dans le pire, le film est purement et simplement retiré de la programmation. Ainsi pour un multiplexe ou une salle indépendante, l’un ou l’autre choisira ou non de déprogrammer un film sans que personne ne puisse à redire. (au pire, vous verrez le distributeur grommeler dans son coin)
Cela a toujours existé, même dans les cinémas d’Arts et d’Essai.
Il est donc étrange aussi de sous-entendre que la rotation des films s’effectueront plus vite à cause du cinéma numérique ou des tiers.
Les tiers n’ayant pas d’interaction avec la programmation.
Concernant l’assertion « plus on a de films en première semaine plus on touche de VPF », elle est soit biaisée, soit purement et simplement fausse.
Les VPF sont dûs à un exploitant même si celui-ci ne programme pas le film dès sa première semaine. Ainsi un exploitant recevra un VPF même s’il programme un film en 5ème semaine, par exemple.
Ceci étant dit, les blockbusters restant plusieurs semaines en salles feront moins gagner que des petits films indépendants. Pourquoi ? Tout simplement parce que les blockbusters seront à l’affiche plusieurs semaines (les VPF ne sont dûs qu’une seule fois) alors que des petits films indépendants qui resteront qu’une semaine ou deux auront une rotation plus rapide : nous arrivons donc à un choix cornélien : Enlever un blockbuster qui marche bien pour passer sur un autre film dès la semaine suivante, ceci afin de gagner un nouveau VPF, ou bien conserver un blockbuster qui fait rentrer le plus de personne en salle. A contrario : un petit film indépendant sera enlevé en première semaine pour être programmé par un autre petit film indépendant (donc 2 VPF en 2 semaines): dans cette exemple, est-ce la diversité culturelle ou bien la course vers le VPF qui y gagne ?
Un exemple par le concret, si les tiers-investisseurs jouaient un rôle dans la programmation en salle, les blockbusters faisant gagner plus d’argent, alors Avatar aurait été supprimé dès la première semaine pour être remplacer par un autre film (blockbuster ou non).
Nous savons tous que cela n’a pas été le cas.
D’autre part parce que l’émergence de ces nouveaux acteurs que sont les tiers investisseurs est propre à bouleverser l’équilibre de la profession, leur position comportant des risques concernant l’influence qu’ils pourraient exercer sur la programmation des salles qui se sont battues pour maintenir leur indépendance de programmation comme financière.
Vous évoquez une possible influence des tiers investisseurs dans la programmation des salles.
Je trouve dommage d’évoquer l’entrée des tiers-investisseurs comme un bouleversement à un équilibre dans une profession donnée. Sachant que ces premiers servent justement les exploitants à cette même transition.
Leurs positionnements ont toujours été de financer la transition au cinéma numérique par le biais du VPF (point).
Comme évoqué plus en haut, je n’ai jamais entendu de propos sur la manipulation des programmations en salle durant toute ma « carrière » dans ce milieu. Je n’ai jamais entendu qui que ce soit vouloir changer cet état de fait. Mieux encore, j’ai entendu, et plus d’une fois, le fait que l’exploitant devait être le plus indépendant possible.
Cependant, je remarque que le style de votre phrase laisse supposer que vous n’êtes pas sûr de cet état de fait, je vous cite :
« leur position comportant des risques concernant l’influence qu’ils pourraient exercer »
Cela reste du domaine de l’hypothétique, qui ressemble plus à une légende urbaine qu’autre chose.
Les tiers-investisseurs veulent contractualiser avec une très grosse majorité de distributeurs et de diffuseurs, la pluralité des liens entre ces derniers et les tiers permettent un financement du VPF non dépendant d’un seul distributeur ou d’un seul diffuseur.
Vous pouvez ne pas me croire, cependant, peut-être croirez-vous vos propres confrères. En effet, récemment, lors des rencontres cinématographiques de l’ARP à Dijon, une conférence sur le cinéma numérique a été programmée.
Présent, entre autres, Jean-Pierre DECRETTE, Directeur du développement France d’Europalaces (Gaumont-Pathé pour le public), Richard PATRY, co-président de la fédération nationale des cinémas français (FNCF) et Olivier WOTLING, Directeur du Cinéma du CNC.
Jean-Pierre Decrette a lancé un
« Grâce aux tiers, le passage au numérique
s’est déroulé rapidement »
Ceci en dévisageant le CNC. Ce qui en dit long sur l’implication de ce dernier dans la transition au numérique (auquel je reviendrais plus en détail par la suite)
Pourtant, Europalaces a financé sa transition en fond propre, et donc n’a jamais fait appel à un tiers pour son passage au numérique. Cette prise de position est donc très importante. Vous me direz qu’il n’a donc pas été confronté à une « possible manipulation » par des tiers.
J’évoquerais donc deux témoignages. Tout d’abord celui de Richard Patry :
« J’ai signé avec un tiers investisseurs et pas de gaîté de cœur, vous pouvez me croire. Mais il faut l’avouer, je n’ai pas eu de problème et [..] une facilité pour l’obtention des fonds de soutien. Ce que j’en constate, c’est que non, les tiers ne font pas d’influence. »
Et enfin celui d’un exploitant indépendant présent dans la salle qui évoquera notamment son contrat avec un des tiers cité en préambule :
« Ymagis n’a pas d’influence
sur notre programmation »
Et un autre de rajouter :
« Depuis que je travaille avec les tiers, je n’ai jamais eu un seul problème et je n’ai jamais eu de mise en avant de films plus que d’autres »
Enfin, il est particulièrement étrange d’entendre vouloir défendre une indépendance de programmation et d’économie quand on sait que le taux de cinéma (et principalement d’Art et d’Essai) sous la perfusion du CNC est écrasante.
Sachez cependant qu’un exploitant signant avec le CNC afin d’obtenir des fonds en vue du passage au tout numérique se verra imposer une programmation pour « la diversité culturelle », dixit Olivier WOTLING.
Il est drôle de constater que finalement, c’est le CNC qui impose une programmation aux exploitants.
En état de fait, les tiers-investisseurs ne veulent pas influencer la programmation en salle. Ils n’y gagneraient absolument rien.
Il ne faut pas être grand clerc pour deviner qu’une fois entrés sur le marché, ils ne souhaiteront pas en sortir… Quelles stratégies pourront-ils adopter une fois la transition technologique effectuée, si ce n’est la mise à profit de leur capacité à négocier avec un grand nombre de salles ? Une telle concentration induit inévitablement une nuisance à l’encontre de la diversité culturelle.
Les tiers-investisseurs seront sur le marché pendant 10 ans (contractuellement). Ces derniers ont donc imaginé l’avenir de leurs structures : que ce passera-t-il après 10 ans ? Pour ce que j’en sais, le but des tiers-investisseurs sera de devenir des prestataires de services, de laboratoires de post-productions et de distributions dématérialisées. C’est déjà le cas actuellement. Arts-Alliance-Media et Ymagis possèdent déjà ces compétences. Leurs buts étant d’offrir de bons services afin que l’après-10-ans, les exploitants soient content de la qualité des services. Il n’y a donc là aucune perfidie cachée.
Enfin il ne reste, comme alternative aux tiers investisseurs, que les subventions publiques. Or, cela a toujours été la position d’ISF : trop dépendre de subventions peut mettre en péril le dynamisme et l’indépendance de programmation des salles…
Les salles indépendantes des collectivités locales, en l’occurrence des salles comme les nôtres classées Art et Essai Recherche, n’auront ainsi d’autre recours que de s’équiper sur leurs fonds propres.
Au regard du travail que nous effectuons, on pourra considérer que nos salles (1% du marché total de l’exploitation), qui sont parmi les meilleurs défenseurs de la « diversité cinématographique », seront les dindons de la farce numérique, coincées entre les VPF des circuits et le bon ou le mal vouloir des élus.
Il faut toujours se méfier des personnes se targuant être les défenseurs de la qualité ou de la diversité. Ils se révèlent parfois être moins bons que les autres plus neutres sur le sujet. Je pense notamment à un cinéma bien connu de Paris défendant la diversité culturelle, et diffusant des DivX sur un projecteur E-Cinema (donc non D-Cinema)
Le 16 juin dernier, était votée dans l’hémicycle une proposition de loi relative à l’équipement numérique des salles de cinéma. Publiée en septembre, cette loi entérine les mécanismes des VPF, ne faisant que les encadrer mais n’en corrigeant pas les effets pervers. En particulier, ces VPF ne sont dus que si la salle programme le film durant les deux premières semaines suivant la sortie nationale
Comme vu précédemment, le VPF peut-être obtenu même après ces fameux 2 semaines. Il est donc possible pour un réseau indépendant en seconde programmation de profiter aussi des VPF.
ce qui favorise le cinéma le plus commercial dont l’essentiel des entrées se fait sur une période courte, car cela n’encourage pas les salles à programmer des films sur une plus grande durée ou à les reprendre plus tard, ce qui favoriserait pourtant la diversité en permettant au bouche à oreille de fonctionner pour des films qui n’ont pas les moyens des campagnes de promotion mises en œuvre pour les blockbusters.
Le bouche à oreille négatif existe aussi. Il suffit d’une mauvaise presse ou d’un mauvais bouche à oreille pour qu’un blockbuster ne marche pas en première semaine et ainsi se voir éjecter de la programmation d’une salle comme un mal-propre.
Récemment, nous avons eu le cas du film « Scott Pilgrim » blockbuster américain, qui, déjà d’une part a été peu distribué, et s’est vu supprimé des affiches dès la fin de la première semaine.
A contrario du dernier film de Guillaume Canet, « Les petits mouchoirs », loin des blockbusters américain qui a fait un carton dans les salles obscures.
N’allons pas nous leurrer, il est vrai qu’avec une plus grande publicité, un film lambda aura tendance à être plus facilement programmé en première semaine. Ceci étant dit, si celui-ci ne fait pas ses preuves, c’est l’exploitant qui effectuera un choix décisif : enlever le film de l’affiche ou continuer sa diffusion.
La diversité est donc affaire de choix. A l’heure actuelle, la distribution possède une pléthore de film comme le soulignait Pierre Jolivet, président de l’ARP.
Plus de 200 films sont présent chaque année sur le marché. En moyenne 17 films sortent par semaine en France.
Vincent GRIMOND, Président de Wild Bunch Distribution en conclut qu’« il y a trop de film présent sur le marché, et malheureusement pas assez d’écran pour tous. Il arrive donc que – par moment – cela soit la foire à l’empoigne, même avec des gens que nous connaissons depuis des années »
Le choix de la diversité s’effectue donc par l’exploitant. Et heureusement. (ce qui serait mieux, serait le choix par le spectateur, mais on ne peut tout avoir dans la vie :-)
On voit beaucoup en ce début d’année des articles se félicitant de la hausse des entrées en salle, mais faut-il rappeler que la part de marché du cinéma américain est passé depuis janvier 2010 à 60%, pour 34% à notre cinéma national et 6% pour le reste du monde.
Pour être précis, les recettes aux guichets en 2009 sont réparties de la sorte : 35.57% pour le cinéma américain, 51.65% pour le cinéma français, 9.6% pour le cinéma européen et 3.17% pour le reste
Les entrées en 2009 sont réparties de la sorte : 36,8% pour le cinéma américain, 49,7% pour le cinéma français, 10,1% pour le cinéma européen et 3,4% pour le reste
Pour les chiffres de 2010, ils sont de 47,7% pour le cinéma américain, 35,5% pour le cinéma français et 16,8% pour les autres nationalités. Une légère diminution de 0,9% entre 2009 et 2010. Mais, comme le souligne le CNC, il est légèrement supérieur à la moyenne des dix dernières années. Il faut donc relativiser : Le cinéma français n’a jamais été en danger. Il ne l’est qu’à cause d’un manque cruel d’innovation dans le milieu. Rien d’autre.
Rappelons aussi que le cinéma américain, de part ses entrées, fait augmenter le fond de soutien, par le biais de la TSA, qui permettent principalement aux cinémas indépendants et d’Art et d’Essai de survivre.
Si nous restons dans les chiffres, nous constatons aussi que les salles d’Art et Essai ont augmentés leurs nombres d’entrées en salles et par la même occasion leurs recettes aux guichets, passant de 266 M€ à 282 M€. Certes, cela n’a pas de rapport avec le cinéma numérique, mais je pense qu’on pourra établir que la diversité culturelle fonctionne plutôt bien et donc que le cinéma « des plus commercials » ne tue pas cette même diversité.
Pour les salles ne bénéficiant pas de ces VPF car ayant peu de sorties nationales, l’État a prévu une enveloppe de 100 millions d’euros. Mais que ce soit les VPF ou les subventions, ces financements ne sont prévus que pour la période de transition, en favorisant l’accélération de cette transition sans s’attaquer aux problèmes structurels que pose cette technologie.
Comme vous l’évoquiez au RMLL2010, « L’équipement des salles repose sur des financements publics (30%) ». Ce chiffre peut sembler haut, mais il est relativement bas compte tenu des dispositions du CNC.
Si le CNC n’avait pas été retoqué par le conseil de la concurrence, je peux vous garantir que ce pourcentage aurait plus proche des 70% que des 30.
Le CNC depuis ses débuts sur le dossier s’est comporté de façon étrange et peu enclin à vouloir discuter avec le secteur privé déjà en place.
Il y a 2 ou 3 ans, la fédération était exclusivement favorable à ce fond de soutien public. Puis, le président Jean Labbé commença à prendre ses distances avec les personnes en charge du dossier au sein du CNC jusqu’à finalement tacler ces derniers officiellement lors de l’iDIFF 2008/2009.
Celui-ci raconta une bien triste histoire en se retournant vers un élu local voulant utiliser les fonds publics afin d’aider les exploitants dans son passage cap du cinéma numérique.
Il débuta en rappelant son affection à un fond de soutien public co-géré par le CNC et les instances locales. Puis de remettre en cause celui-ci après son passage à Showest (US). Jean Labbé avait pu entendre une conversation entre deux personnes (je dois avouer ne plus me souvenir si les personnes étaient des membres des studios ou non) :
« Pas besoin de VPF [privés] pour la France, de toute façon, ce seront les impôts [des français] qui serviront à la transition au numérique [en France] »
Et Jean Labbé de conclure auprès de l’élu :
« Au final, je préfère que les deniers publics servent [aux Français] plutôt que de les utiliser pour la transition [des exploitants au numérique] qui serviront pour les studios américains »
Par la suite, le CNC effectuait des effets d’annonces sans véritablement concrétiser leurs fonds de soutien. A force d’attendre, les premières victimes ont été les exploitants les faibles.
Ces derniers attendaient que le CNC finalise sa proposition : Tel un joueur à machine à sous, ils auront patienté jusqu’à la fin en supposant que le saint-graal arriverait.
Mais cela a été un retour de flamme terrible, car plus les exploitants tardaient à signer avec les tiers, plus ils auraient été difficile de négocier un VPF compatible avec leurs envies.
Selon moi (je n’ai malheureusement aucune preuve), le CNC n’a pas pu monter son fond de soutien pour des raisons de politiques économiques : De base, les studios américains ne voulaient pas plusieurs tiers-investisseurs sur le marché français, au mieux 3, 4 voire 5 grand maximum. Le CNC a probablement commencé à négocier avec eux en supposant pouvoir signer. Or la stratégie était que le CNC, étant public, le soutien se ferait donc avec des fonds publics. Le CNC s’est donc retrouvé avec un fond de soutien vide ou instable avec peu de contrat avec les principaux studios. Se retrouvant sans rien et retoqué par le conseil de la concurrence, ils ne leur restaient plus que la voie légale – voté en plein été et en catimini.
Il est regrettable que les députés votant le texte n’aient pas contacté les différents tiers-investisseurs connaissant le dossier. Même si les représentants de l’État se targuaient d’avoir rencontrer tous les acteurs du marché.
A priori, les tiers-investisseurs ne font pas parties des acteurs importants du marché.
Le numérique met en danger la profession de projectionniste car cela va amplifier l’externalisation de la maintenance des équipements tout en simplifiant leur mise en œuvre. Or on observe dans d’autres pays européens un rapprochement entre sociétés de maintenance et tiers investisseurs, accentuant encore les dangers de concentration dans le secteur.
Actuellement, le secteur de la maintenance du matériel 35mm est géré par des sociétés de maintenance externes (ADDE, CinéService, ID-Cine, Decipro, CTS pour ne citer qu’eux)
La communication établie entre tiers-investisseurs et installateurs est basé sur le fait que le tiers-investisseur n’est pas un installateur mais un tiers de confiance financier et voire technique pour les studios et distributeurs. Ce que vous appelez « concentration de secteur » je l’appelle « garant des métiers de chacun ». N’est-ce pas ce que vous souhaitiez à l’origine ? (update 2011 : certains tiers ont développé – pour les besoins de mutualisation – des divisions « installations » – Et aussi: certains installateurs abusaient un peu sur les devis, mettant ainsi en péril le mécanisme de remboursement du matériel et donc d’un risque plus fort pour l’exploitation).
Les tiers-investisseurs discutent avec l’ensemble des installateurs en toute indépendance : les exploitants, signant avec un tiers, sont déjà sous contrat avec un installateur pour son matériel 35mm. Le tiers communique donc juste les besoins nécessaires (notamment les lignes ADSL et les baies, appelées aussi librairies) afin de garantir une mise en production du matériel et des séances le plus rapidement possible.
En ce qui concerne la mise en danger de la profession de projectionniste, même si je la déplore, elle est malheureusement liée par des impératifs économiques propres à chaque exploitation et est – en général – aucunement liée avec le cinéma numérique. Pour preuve, les grands réseaux nationaux avaient déjà remplacé une partie de leurs staffs par des machines pour leurs systèmes de billetteries, et ceci bien avant l’avènement du cinéma numérique.
Il ne faut donc pas confondre « cause » et « conséquence ».
Un matériel aux caractéristiques techniques plus ouvertes (comme l’était le 35mm), avec des formations adaptées, permettrait de se prémunir en partie contre cet écueil, donnant ainsi les moyens aux projectionnistes d’acquérir de nouvelles compétences leur permettant de mieux maitriser le matériel qu’ils auront à utiliser.
Je lierais ce passage avec votre conférence lors des RMLL2010, j’avais justement noté deux passages :
« Une norme [DCI] qui est assez fermé »
« La croix de malte […] pellicule perforée [..] qui n’a pas bougé depuis les frères lumières »
Tout d’abord, le format 35mm est celui du format d’Edison, et non celui des frères lumières.
Il a été instauré au début du siècle, à cause des problèmes d’incompatibilités entre systèmes de projections, par les studios américains de l’époque.
L’ironie dans cette « standardisation » est que 100 ans plus tard, ces mêmes studios (pratiquement) imposeront le DCI pour les mêmes raisons : celui de la pagaille engendrée dans l’industrie par des conflits de clocher.
Au début des années 90, les studios américains imaginaient déjà des systèmes de projections numériques, mais aucun système de projection numérique n’arrivait véritablement à sortir du lot.
Pendant près de 10 ans, les exploitants ont donc effectué des essais grandeur nature chacun dans leurs coins, avec du matériels divers et variés. Ce bac à sable technologique possède un nom : le « e-cinéma » (cinéma électronique).
Tout à chacun y allait de son propre procédé : MPEG-2/MPEG-4, QuickTime, machines dédiées, ordinateurs recyclés en serveur de projection et même platine DVD…
Au début des années 2000, les studios américains, lassés de voir chacun se battre avec son propre système de projection et incompatible avec celui du voisin, décida de lancer une norme ouverte, public et sans royalties : le DCI.
Et cela justement pour éviter tout monopole dans le secteur par une société technologique en particulier (à l’époque, certains évoquaient une main-mise de Microsoft)
Concernant le caractère technique des choix proposés dans la norme, je vais y revenir plus en détail en bas.
Pour en revenir aux projectionnistes, le cinéma numérique étant ouvert – malgré tout – les projectionnistes peuvent se voir doter de nouvelles compétences. Hormis de développer des outils spécifiquement pour le cinéma, les projectionnistes peuvent devenir de véritables opérateurs laboratoire technique, au sein même de chaque cinéma. Le numérique, les normes et son matériel pouvant accueillir des expérimentations de projections ou de manipulations de DCP à l’infini.
Pourriez-vous faire cela en 35mm ?
Hormis d’avoir un laboratoire de photochimie sur place et à disposition, je doute :)
La technologie en elle-même ne supprime pas des emplois, ce sont les êtres humains qui le font. N’oubliez pas les différences entre causalité et conséquence.
Le rouleau compresseur numérique
Quels attraits offre le numérique ? Qu’on ne nous parle plus de la 3D, qui ne concernera qu’un nombre restreint de sorties par an. Que la dimension « foraine » du cinéma ait sa place, très bien, mais que l’on décide du basculement de toute la filière en fonction de ce seul aspect est tout bonnement aberrant (depuis cet été, les signaux d’un éclatement précoce de cette bulle technologique se sont multipliés, et cela à peine huit mois après le début de la bulle avec Avatar !). Une fois mis de côté ce miroir aux alouettes, que reste-t-il ? Une économie sur les tirages de copies qui, en l’état, n’aura pas de répercussions sur l’exploitation et peu sur la petite distribution.
Entendu depuis les premières « releases » des normes DCI, l’économie des tirages et de transport a toujours été au cœur de cette révolution numérique. Il est exact que cela n’a – pratiquement – aucune répercussion sur l’exploitation en terme financier.
C’est notamment pour cela qu’a été mis en place le VPF : les bénéfices s’effectuant dans un sens (celui de l’exploitant vers les studios/distributeurs), il est donc normal que seuls les bénéficiaires payent pour cette révolution.
Les VPF, pour reprendre le principe général, c’est celui de rajouter une « cotisation » sur le prix de la copie numérique.
Une copie 35mm coûte (coûtait?), pour le distributeur, et selon ses accords avec les laboratoires de tirage (tel qu’Eclair par exemple), entre 1.000 et 2.000 euros. (coût d’un film classique de 90 minutes environ, variable suivant les accords entre distributeurs et laboratoires et suivant le nombre de tirage)
La copie numérique, étant ce qu’elle est ne coûtera plus que – disons – 200 euros (nous utiliserons des chiffres non représentatifs) ; A cela, nous rajoutons le fameux VPF, disons 700 euros. (chiffre toujours non représentatif et dépendant des accords distributeurs/collecteurs VPF). Le coût d’une copie numérique est donc de 900 euros au final pour le distributeur. Les 700 euros, payés par le distributeur ou le studio, seront reversés à l’exploitant pour le remboursement du matériels numériques.
Nous avons donc un système où l’exploitant se voit rembourser la quasi totalité de son matériel (suivant les accords établis entre tiers-investisseurs et exploitants)
Notez que ce système n’est actif que lorsque l’exploitant décide d’utiliser ce système de fond. Les exploitants utilisant leurs propres fonds ou des fonds publics ne sont pas soumis à ce genre de processus.. Plus d’actualité de part la loi votée à l’assemblée nationale portant sur le financement pour le cinéma numérique: tous doivent payer un VPF. Ainsi si c’est de l’auto-financement, le collecteur VPF n’est plus un tiers mais le propre cinéma ou l’exploitant. Exemple: Pathé-Gaumont demande un VPF même s’il a financé lui-même son matériel cinéma numérique.
Que les salles mono-écran de campagne soient attirées par la supériorité de la longévité d’un fichier par rapport à une copie 35 et la possibilité d’avoir le film plus près de sa sortie, c’est compréhensible, mais si elles ne sont pas en mesure de s’équiper durablement, ça leur fera une belle jambe.
Nous sommes face à une technologie conçue pour une logique plus industrielle que culturelle, dimensionnée pour la grande exploitation, et c’est bien son principal défaut dont découle tout le reste.
Passer de l’argentique au numérique répond à une logique pleine de bon sens étant donné que la production de films se fait de plus en plus en numérique. Mais cessons de nous comporter en technophiles béats, toute nouvelle technologie porte en elle un poison et un bienfait, il s’agit bien d’identifier le poison et de le neutraliser. Qu’une norme visant à une interopérabilité et répondant à des impératifs qualitatifs ait pu être établie pour le cinéma est une grande victoire, mais il est regrettable que n’aient pas suffisamment été prises en compte les difficultés causées par le coût de son déploiement…
Pourtant les coûts induits par les recommandations de la DCI pourraient encore être infléchis, étant donné qu’à peine un quart de ces recommandations sont passées sous norme ISO internationale. C’est d’ailleurs ce qui était souligné dans le rapport publié par la Commission Européenne en septembre dernier, précisant qu’une bonne partie de ces coûts étaient dus aux normes de sécurités mises en place pour protéger essentiellement les blockbusters mais ne bénéficiant pas forcément au cinéma européen :
L’Union européenne réfléchira également à la manière d’exploiter les possibilités offertes par le processus de normalisation. L’objectif est de faire en sorte que la flexibilité nécessaire soit garantie afin que tous les cinémas viables d’Europe puissent utiliser la projection numérique.
Concernant le rapport de la commission européenne, il spécifie entre autres, qu’ « avec les technologies numériques, les œuvres audiovisuelles européennes sont déjà devenues plus faciles d’accès en dehors de leur pays d’origine » et que « l’un des avantages que les technologies de l’information et de la communication procurent à l’Europe est la distribution plus large et moins coûteuse de contenus culturels et créatifs », ce qui donne lieu à une diversité des œuvres plus développée, ce que vous appeliez de vos vœux à l’origine.
Il est à noter que le groupement était composé essentiellement de distributeurs, d’exploitants et de représentants des organismes cinématographiques travaillant sur des stratégies de numérisation et que hormis la préservation de la diversité des films et des salles en Europe, les discussions se sont penchées sur la nécessité de trouver une solution de substitution au VPF existant actuellement, ainsi que l’importance du soutien de l’UE et des pouvoirs publics pour la numérisation des salles.
Procédé étrange que de regrouper des personnes – devant payer un VPF – afin de parler d’un nouveau système de VPF soutenu par les pouvoirs publics. Traduit en langage profane, les distributeurs européens préfèrent laisser les collectivités payer la transition numérique.
Or, vous serez d’accord avec moi que les principaux bénéficiaires étant les distributeurs, il serait malvenu de leur part de se défausser à la règle du pot commun pour la transition numérique et ceci pour le bien de tous.
La partie des coûts liés à la sécurité que vous évoquiez dans votre texte est mentionné comme-ci : « Ces spécifications incluent également des paramètres de sécurité (qui représentent une part importante du coût des équipements) ». Texte sans définition exacte des paramètres de sécurité. Cette dernière étant intrinsèquement liée à l’implémentation, par les constructeurs, des normes DCI, il ne peut exister de surcoût en dehors du prix du matériel acheté en amont (donc valider par l’exploitant, devis à l’appui), matériels financés par le mécanisme de VPF : la boucle est bouclée.
Notons aussi que le rapport de la commission évoque une durée de vie plus courte comparer aux matériels 35mm. Je suis étonné que personne n’est évoqué un principe de bon sens : comment deviner la longévité d’un matériel fraîchement sortie d’usine alors même que celui-ci n’a aucun historique et n’a même pas 3-4 ans d’existence. Hormis un problème inhérent dès la conception, aucun constructeur n’est en mesure de spécifier combien de temps un matériel va durer.
Or, 80% des écrans européens ont moins de 10 m de base…) Aviva Silver soulignait ainsi lors des dernières conférences Europa Cinemas que la question de la norme n’était pas close. Dans un tel contexte, est-il raisonnable d’accélérer la transition numérique, en dilapidant au passage 100 millions d’euros d’argent public qui pourraient être plus utilement employés, au lieu de favoriser une technologie qui va porter atteinte non seulement à la diversité culturelle, mais également à l’emploi dans le secteur.
Entretenir deux systèmes simultanément est coûteux pour l’exploitant, retarder la transition au tout numérique ne fera qu’alourdir le poids financier des cinémas les plus faibles. (voir la vidéo de Richard Patry à ce sujet notamment)
Il est important de se préoccuper de la technologie que l’on va mettre en œuvre, car dans les nouvelles technologies, le rôle de l’intermédiaire technique peut prendre une importance « envahissante »…
Envisageons que le numérique se déploie dans les conditions actuelles, et que l’on en vienne logiquement à terme à transférer les films par le réseau Internet. Il est un danger important dont il faudrait se prémunir dès maintenant : la mainmise d’un ou deux opérateurs sur le transfert des films. On aurait alors l’apparition d’un autre acteur pouvant acquérir une position dominante propre à porter atteinte à la diversité culturelle, d’autant plus si celui-ci se met à produire et distribuer des films… Un moyen très simple de se prémunir de ce danger est de garantir la neutralité du réseau de transmission des films, en élaborant une norme, un protocole ouvert et interopérable de transmission des films, et qu’ainsi les distributeurs, quel que soit l’intermédiaire qu’ils emploient pour la transmission de leurs films, puissent les envoyer à n’importe quel exploitant, quel que soit le matériel de réception qu’il utilise. On prend sinon le risque d’une concentration inédite de l’offre dans la filière par le seul poids que pourrait prendre ce nouvel acteur, le mettant en position de négocier des offres groupées avec plusieurs distributeurs et/ou exploitants. Un amendement avait été proposé dans ce sens en juin, et Patrick Bloche aurait bien souhaité le défendre mais cet amendement n’a pu être soumis au vote car ses auteurs n’étaient hélas pas présents en séance pour le soutenir…
La proposition d’une normalisation pour la transmission des films est une idée intéressante. A l’heure actuelle, nous avons 3 à 4 grands systèmes de distributions : Smartjog, AAM, Ymagis et XDC. Smartjog utilise un ensemble de protocoles libres, AAM et Ymagis de même, quand à XDC, je n’ai malheureusement pas d’informations dessus. Garantir la neutralité du réseau de transmission est une bonne chose. (UPDATE 2012: il existe aussi Globecast. XDC s’est renommé dcinex en fusionnant avec d’autres acteurs du marché. UPDATE 2014: Ymagis a racheté Smartjog)
Cependant, comment faire lorsque chaque prestataire utilise des technologies de transmission et de communications complètement différents. En effet, certains tiers-investisseurs utilisent le réseau ADSL pour transmettre les films, d’autres utilisent la fibre, et d’autres encore la transmission par satellite.
Créer un protocole ouvert et interopérable laisse suppose que toutes les technologies possèdent la même conception fondamentale du réseau. Un ADSL n’a pas le même comportement qu’une transmission satellitaire.
C’est un vœu pieux louable que je partage; Cependant, pour le peu que je connaisse des réseaux satellitaires, en ayant notamment travaillé dessus chez Globecast, cela relève plus du défi technologique que de la définition d’une norme et de la simple utilisation d’un protocole.
Ceci dit, rien n’empêche un exploitant de refuser ce type de transmission dématérialisée et de préférer la livraison de DCP par services postaux ou de courses, comme cela est le cas pour le 35mm.
Vers une solution Open Source
Par ailleurs il est un mode de développement qui pourrait être sérieusement envisagé pour l’élaboration de solutions technologiques, c’est le développement Open Source, qui a pour qualités principales de garantir une indépendance vis à vis des intermédiaires techniques, de permettre une mutualisation du financement de ces solutions, d’en abaisser le coût sur le long terme et d’allonger la durée de vie des matériels par l’indépendance que cela apporte. L’argent public que l’on s’apprête à dispenser pour la transition vers le numérique pourrait être, en partie au moins, utilement employé pour lancer des appels d’offre dans ce sens.
Les salles Utopia et l’association ISF dont elles font partie essaient d’ailleurs actuellement de monter le financement d’une thèse proposée par Nicolas Bertrand4, dont le sujet va dans ce sens :
Il faudrait étudier ce que le logiciel libre et son modèle ouvert et coopératif peuvent apporter. Quelles solutions technologiques choisir ? Avec quels outils logiciels ? Faut-il implémenter une solution, compatible avec la norme du DCI, apportant plus de souplesse ou bien proposer une autre norme, la norme proposée n’étant pas encore une norme internationale. […] La thèse s’inscrit dans une démarche pluridisciplinaire et aurait aussi pour objectif de créer une dynamique autour du cinéma numérique dans le cinéma indépendant, de mettre en réseau le monde du cinéma, la recherche, et le logiciel libre afin de permettre l’émergence d’un modèle durable.
Je me permet d’inclure les propos de Nicolas Bertrand dans ma réponse car vous l’évoquez dans votre texte d’origine (en plus d’être votre confrère-conférencier durant les RMLL)
Nicolas laisse supposer, dans la formulation de son sujet, que les normes DCI peuvent ne pas correspondre à l’idéal d’ouverture et de souplesse. Au point d’évoquer l’écriture d’une nouvelle norme.
Avant tout: Le DCI est établi sur des normes et des protocoles ouverts dont les documents sont disponibles à cette adresse.
De l’aveu même de Nicolas Bertrand, ce dernier possède une connaissance théorique des normes DCI, voire lacunaires (cf. sa conférence aux RMLL et ses interventions sur le site de LinuxFR). Il est normal qu’aux premiers abords, celui-ci ne connaissent pas toutes les subtilités de la norme.
Cependant, évoquer une « séparation » entre cinéma numérique et logiciel libre est étrange quand à longueur de page du DCI, on ne parle que logiciel libre.
Pour preuve, le « Compliance Test Plan », disponible sur le site du DCI met à disposition des codes sources et évoque des logiciels libres selon les besoins.
A moins que Nicolas n’évoque une utilisation de logiciel libre pour la manipulation de DCP. Auquel cas, l’étape « veille technologique » manque cruellement à l’étude: Il existe une pléthore de logiciels libres pouvant être utilisés dans le cinéma numérique (de la post-production à la génération de DCP).
Ceci dit, en lisant plus en détail les nombreuses déclarations de Nicolas, j’en viens à me dire que ce qui dérange fondamentalement, c’est le coût du matériel.
L’utilisation du chiffon propriétaire/logiciel libre est-il le cheval de Troie numérique pour faire miroiter une réduction des coûts de matériel ? Je n’espère pas. Ceci dit, lorsqu’on lit « A l’heure actuelle pour les exploitants de salles cela veux dire payer un matériel numérique 2 à 3 fois plus cher que l’ancien », nous sommes en passe de nous le demander. Surtout que si on extrapole : un magnétoscope VHS est moins cher qu’un lecteur Bluray…
La déclaration suivante est, elle aussi, très explicite :
« Le modèle du logiciel libre pourrait proposer des solutions moins lourdes; autant d’un point de vue de l’équipement que celui du logiciel. Mais la bataille se passe aussi du côté des normes en les faisant évoluer afin d’accepter d’autres formats ou bien en allégeant certaines contraintes. »
Faire évoluer une norme libre et utilisant des spécifications ouvertes afin de faire « accepter d’autres formats » ou bien « alléger certaines contraintes » c’est oublier les surcoûts engendrer par ces modifications ou ces prises en compte.
Une norme est établie pour être une voie commune à chaque partie. Le fait d’ « accepter d’autres formats » est aussi pertinente que de remettre en activité les 3 formats 35mm en même temps : cela engendre des coûts cachés supplémentaires.
Le DCI a été établi justement pour ne pas retomber dans le travers des années « e-cinema ».
Les laboratoires peuvent établir un DCP sans se soucier du type du lecteur en bout de chaîne. Les exploitants n’ont pas la contrainte technique de savoir dans quel format le DCP a été généré. Les constructeurs n’ont pas à gérer une multitude de formats qui n’apporteront rien à la capacité de projection d’un film, réduisant ainsi les coûts en recherche et développement. Et par la même réduisant le coût matériel.
Pourquoi vouloir gérer plusieurs formats ? Pourquoi vouloir supprimer l’homogénéité de création, de duplication, de diffusion et de projection qu’une norme établie ?
Je ne vois malheureusement aucun apport supplémentaire à vouloir faire bouger la norme DCI vers ce genre de proposition, hormis de revenir vers un chaos technologique déjà évoqué en amont.
Ceci dit, développer un système de projection à base de logiciel libre n’est en rien interdit. Il suffit pour cela de lire les normes et d’appliquer les spécifications techniques établies. Qui malgré les plus de 150 pages de termes techniques et d’acronymes divers laissent une part belle à la liberté de création d’une couche applicative indépendante, libre et ouverte.
La manipulation d’un DCP s’opère grâce à 7 spécifications techniques simples :
- Chaque image (frame) est encodé au format JPEG2000
- Chaque piste sonore doit être au format WAV
- Les sous-titres utilisent un format PNG et/ou XML
- L’ensemble des frames et des pistes sonores sont « paquetagés » dans un container appelé MXF et utilisant le principe des KLV (Key Length Value)
- L’ensemble des MXF sont liés par des fichiers XML définissant (entre autres) leurs spécifications techniques (type, taille, checksum, …) ou informatives (titre du film, qui a créé le DCP, quand, etc…)
Si besoin, le DCP peut être chiffré grâce des spécifications cryptographique normalisés (AES, DSA, BASE64, …)
La clef résultant est compacté dans un container au format XML
Pour la lecture, le processus est pratiquement inverse :
- Lecture des fichiers XML
- Déchiffrage si besoin des informations chiffrées.
- Lecture du MXF en vue de la récupération des frames JPEG2000 ou des pistes sonores
- Lecture des frames JPEG2000 / pistes sonores WAV
- Exposition ou diffusion du contenu audiovisuel par le projecteur.
Vouloir modifier une de ses parties ? imaginons-le… mais le remplacer par quoi d’autre ?
Imaginons remplacer la partie JPEG2000 par un autre format. Mais alors lequel ?
Est-ce que ce nouveau format respectera une qualité de projection optimale tout en préservant les besoins en stockage opérés par les différents acteurs ?
Les normes DCI, notamment au niveau de l’image, ont été validées par des processus de test permettant de mettre en avant la plupart des problèmes inhérents aux différents types de compression numérique de l’image. Les validations opérées, au début de l’établissement de la norme DCI, ont permis de faire un choix sur un format permettant cette préservation de la qualité de projection.
En résumé, vouloir remplacer la norme DCI est une fausse bonne idée.
C’est une des solutions qui s’offrent à nous pour faire face à ces enjeux fondamentaux. Il serait souhaitable d’une manière ou d’une autre d’arriver à un abaissement des coûts du matériel, soit par la diversification de l’offre qui pourrait proposer des solutions adaptées aux différents types d’exploitation, soit par la mutualisation du financement de nouvelles solutions en Open Source qui permette sur le long terme d’en abaisser les coûts.
De part sa nature (libre, ouverte, ..) la norme DCI a permis à de nombreux constructeurs ou éditeurs de logiciels de proposer des solutions pour la manipulation des DCP. Des solutions open-sources existent déjà, voici notamment une liste non-exhaustive :
- http://www.cinecert.com/asdcplib/
- http://code.google.com/p/opencinematools/
- http://www.openjpeg.org/
- http://sourceforge.net/projects/mxflib/
- http://code.google.com/p/opendcp
- http://bitfilms.blogspot.com/2010/11/making-dcp-entirely-with-open-source.html
L’impression d’évoquer le logiciel libre, non plus pour des besoins en « liberté », mais pour des besoins financiers se fait sentir de plus en plus au fur et à mesure de votre texte, malheureusement.
Il est également essentiel de mettre en place les normes garantissant la neutralité du réseau de transmission des films avant l’achèvement de la transition vers le numérique.
Enfin, pour un financement durable de ces nouvelles technologies permettant de préserver sur le long terme la richesse et la diversité du parc de salles français, la suggestion faite par l’Autorité de la Concurrence mérite d’être sérieusement examinée, consistant en des aides directes, partiellement attribuées via un mécanisme d’appel d’offres, financées par une taxe sur les copies numériques.
On pourrait ajouter que ces aides devraient être attribuées selon la programmation des salles concernées, afin de garantir que ces aides aillent à des salles œuvrant pour la diversité culturelle, répondant en cela à un objectif d’intérêt général, la permanence de cette taxe ayant pour mérite de proposer une solution durable pour préserver la diversité du parc de salles français (cette proposition de taxe a été courageusement défendue par le député François Asensi lors du vote de la loi en juin, mais il fut hélas le seul à défendre cette position qui était pourtant la seule offrant une vision sur le long terme…).
En conclusion, vous évoquez un mécanisme de taxe attribuées selon la programmation des salles concernées, ce qui va à l’encontre total de ce que vous venez de souhaiter en préambule de votre texte, l’indépendance de la programmation se verra donc contrôler par le CNC.
Évoqué sur un autre site, vous disiez que cela n’était pas forcément dérangeant
« Forcer une programmation en échange d’une aide du CNC, oui ça peut être bien vu, tout dépend de la programmation en question. ».
Il existe donc deux poids deux mesures suivant si on vient du secteur privé ou du secteur public.
Un tiers-investisseurs proposant ce même genre de mécanisme se verrait affublé de tous les mots provenant du champs lexical de la manipulation.
Est-ce que le CNC est-il véritablement garant de cette diversité ? N’oublions pas que cette dernière est aussi fond de soutien pour la production audiovisuelle et de part ce rôle, elle possède des droits de « retour sur soutien » sur la dite production (autrement dit, elle est sujette à un retour de royalties sur des productions, ou plutôt de « remboursement »)
Le CNC peut très bien vouloir mettre en avant une production qu’elle a, elle-même, soutenu et ainsi récolter plus de « retour sur soutien ». Qui serait garant de cette indépendance ?
Dans ce cas précis, nous nous retrouverions avec un CNC omniscient (billetteries) et possédant une multitude de droits de royalties sur des contenus qu’elle gère elle-même (fond de soutien à la production audiovisuelle) auprès des exploitants (accréditations, financements, régulation de la taxe suivant sa diffusion, retour des royalties). Ces derniers étant liés par la taxe proposée en amont.
Imaginez maintenant si le CNC proposait un jour un VPF plus gros pour certains films – probablement sous couvert de diversité culturelle – poussant alors les exploitants a préférer un film plutôt qu’un autre.
Vous pourriez me targuer d’avoir une vision apocalyptique du rôle du CNC dans un futur hypothétique. Cependant, le CNC ne s’est jamais caché de vouloir démarrer un début de réglementation de la programmation en salle pour certains cinémas ; notamment les cinémas utilisant des séances alternatives et touchant la TSA :
« Le CNC ne soutiendra pas – avec la TSA – les salles de cinéma, si l’exploitant effectuent des séances alternatives. […] Les exploitants n’auront pas de TSA lors de programmation hors-films. Les établissements doivent s’engager sur des films européens »
Olivier WOTLING
Nous aurions donc une combinaison parfaite pour un monopole public sur les contenus cinématographiques.
EOF.
Je n’avais pas fait de conclusion, donc je vais m’arrêter là tout simplement. Merci d’avoir lu jusqu’au bout :-)
UPDATE 2012: En relisant, je découvre encore des fautes (orthographe/conjugaison/etc), je corrige petit à petit. 2014: Encore :)